CARPE DIEM
Pourquoi cherches-tu l’impossible
en voulant à tout prix
connaître d’avance
ce que la vie nous réserve
à toi et à moi ?
Quoi qu’il puisse nous arriver,
la sagesse n’est-elle pas
de nous soumettre chacun à notre sort ?
Que la vie te réserve encore bien des hivers
ou, au contraire,
que tu sois en train d’en vivre le dernier
─ celui-là même qui, en ce moment,
éreinte les vagues de la mer
à l’assaut des rochers ─
crois-moi,
ne change rien à tes occupations
et, dans un cas comme dans l’autre,
n’escompte jamais vivre
plus loin que le jour où nous sommes.
Déjà, tandis que nous parlons,
le temps impitoyable aura fui.
C’est aujourd’hui qu’il faut vivre.
car demain reste pour toi
ce qu’il y a de moins sûr.
(Dédié à une jeune fille du nom de Leuconoë, ce poème appartient au premier livre des Odes d’Horace (Ode XI : AD LEUCONOEN) et doit sa célébrité à son dernier vers où figure l’expression littéralement intraduisible CARPE DIEM.)
– Traduction et adaptation moderne : Gilles Simard, PH. D. Tous droits réservés.
COMMENTAIRE DU TRADUCTEUR
Il est rare dans l’histoire de la poésie qu’une image ait connu autant de succès que l’expression CARPE DIEM issue d’une ode brève du poète latin Horace.
Ce couple de mots littéralement intraduisible tire son dynamisme de l’association inattendue du verbe CARPERE et du nom DIEM. Le premier appartient à la sphère des fruits. Fruits que l’on cueille, que l’on porte à la bouche pour les savourer.
Le second mot est un nom complément direct du premier et désigne tout simplement le jour. C’est la syllabe DI que l’on retrouve en français dans l’appellation des jours de la semaine : lundi (jour de la Lune), mardi (jour de Mars)… CARPE DIEM est donc une invitation à saisir le jour et à le déguster comme un fruit savoureux.
Cette invitation était dédiée initialement à une jeune fille au prénom grec révélateur LEUCONOË, qui signifie ESPRIT BRILLANT. Une jeune fille qui, d’après les recommandations que lui adresse Horace envisageait tout naturellement de vivre longtemps. Avec une tendresse toute paternelle et une profonde sagesse, le poète appelle cette jeune fille à réaliser que la vie se passe au présent et qu’il lui faut mordre à belles dents le moment qui passe, même si elle savait par impossible qu’elle allait effectivement vivre encore bien des hivers.
Il faut lire les huit vers latins où s’insère, au début de la dernière ligne, l’expression en question (CARPE DIEM) pour comprendre la portée universelle du conseil que nous glisse Horace avec un pincement au cœur à peine voilé, face à l’écoulement irrémédiable du temps.
J’imagine difficilement qu’un être humain puisse rester insensible à ce message. Mais, je pense d’abord aux gens que la vie n’a pas ménagés et qui y trouveront un réconfort appréciable. Je trouverais normal que ce texte figure dans une chambre d’hôpital. Mais aussi dans un corridor d’école. Pourquoi pas dans une salle d’attente? Partout où des gens circulent machinalement et cherchent inconsciemment un sens à la vie.
La richesse de ce message est qu’il est neutre. Il s’attache à l’essentiel de l’existence, sans aucune considération ni de race, ni de religion, ni de parti politique. Horace l’a écrit à une époque où ses concitoyens s’entre-déchiraient par une guerre civile.
Le poème résume en même temps la fine fleur de toute l’Antiquité grecque et latine en plus d’accéder à une profondeur humaine universelle, à travers une image inaltérable. Puisse-t-il susciter une émotion comparable à celle qu’éprouvèrent ses premiers lecteurs, en 23 av. J.-C., année de sa première publication !
Gilles Simard, PH.D.
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