Dans une chronique précédente, j’évoquais la magie de la vie et son lien avec la poésie. Il n’est pas nécessaire d’écrire des poèmes pour faire de la poésie. N’importe qui, dans le contexte familier de son existence, peut se comporter en véritable poète. On sait déjà jusqu’à quel point la poésie est nécessaire à l’expression de l’amour, du romantisme et du rêve. Mais sait-on comment elle peut transformer notre existence au quotidien?
Le monde sépare volontiers poésie et réalité, comme si la poésie n’était qu’une sorte d’ornement ou de fioriture de la vie. Mais la poésie nous rappelle que la réussite de l’existence n’est pas seulement affaire de technique. Elle a besoin d’un souffle que seule la poésie peut donner. Simone Weil, cette philosophe de génie qui a étonné le monde en travaillant une grande partie de sa vie dans les usines à une époque où la technologie était rudimentaire, a écrit : «Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain. Besoin que leur vie soit une poésie. Besoin d’une lumière d’éternité.» Cette lumière d’éternité, c’est l’horizon d’émerveillement que le regard poétique peut apporter sur les êtres et les choses.
Pour l’expérimenter, je vous invite aujourd’hui à vous laisser émerveiller par toutes les petites choses qui vous entourent : savourer un bon petit plat, sentir la fraîcheur de l’eau sur votre peau en vous lavant, admirer une fleur, goûter et admirer la beauté d’un paysage, le vent, les oiseaux, la lumière, écouter le chant d’un ruisseau, contempler l’immensité des espaces sidéraux. S’abandonner au mystère de la nuit étoilée, ce qui faisait dire à Jules Renard : «Il y a de la lumière ce soir chez Dieu». Vous verrez combien ces petits gestes font du bien à l’âme et dégagent des énergies mentales insoupçonnées!
Exercez-vous, en outre, à pratiquer le regard contemplatif, partout, sur tout ce qui vous entoure. Entraînez-vous à contempler là où nous ne faisons que voir et regarder avec indifférence. Nous ne prêtons plus attention au coucher du soleil, à la lumière qui fait étinceler les objets, au vert opulent de la nature, à l’air traversé de parfums. Quand nous nous promenons dans un parc, nous sommes plus attentifs à ce qui bouge qu’à l’appel de tous ces paysages qui nous font respirer le bonheur. S’exercer à remarquer les couleurs qui influencent notre sensibilité, les formes qui sollicitent notre attention. Même chose pour l’expression de ceux et celles qui nous entourent. Quand remarquons-nous le regard engageant ou le sourire aimable d’un voisin? Déconnectés de nos émotions, nous sommes peu conscients des bonheurs qui s’offrent à nous. Or, tout cela nous interpelle et nous rappelle, selon la magnifique formule du poète allemand Hölderlin, que «c’est en poète que l’homme habite cette terre.»
Jean-Paul Simard