SOMMES-NOUS VRAIMENT FAITS POUR LE BONHEUR ?
«Tout le monde est malheureux tout le temps.»
(Célèbre chanson de Gilles Vigneault)
CONNAISSEZ-VOUS la loi de « l’inoptimum » ? Cette loi a été formulée, il y a quelques années, par le grand écologiste québécois Pierre Dansereau. Elle concerne l’écologie, mais elle est taillée sur mesure pour le bonheur : « Aucun organisme ne trouve à un endroit et à un moment donnés la possibilité de satisfaire optimalement tous ses besoins. On peut être bien nourri et mal logé, bien nanti, mais frustré dans ses aspirations et ainsi de suite. »
Le fond de teint du bonheur
TOUT LE MONDE CHERCHE le bonheur et c’est bien légitime. Mais soyons réalistes ! Sommes-nous vraiment équipés pour le bonheur ? Quelle est notre condition existentielle ? Chacun doit se rendre à l’évidence qu’il n’est pas parfait moralement et physiquement, qu’il souffre et qu’il meurt. Personne n’est impeccable et correct tout le temps. Malgré nous, nous posons des gestes, nous affichons des comportements qui, tôt ou tard, génèrent la souffrance et la maladie. Même quand tout va bien, nous ne remplissons jamais toutes les conditions idéales pour être heureux. Il y a unesouffrance fondamentale et nécessaire que nous ne réussirons jamais à éviter. Celle qui provient d’un monde imprévisible, instable et parfois inquiétant. Voilà pourquoi l’une des premières lois du bonheur est celle de l’alternance : la joie et la tristesse, l’amour et la haine, la confiance et le doute, l’enthousiasme et l’hésitation, la solitude et l’appel d’une présence. Le bonheur et le malheur sont ainsi tellement liés qu’il semble qu’on ne peut être heureux que si, par moments, on ne l’est pas. Nous n’avons donc pas le choix.
Heureusement, nous avons passé l’époque des encouragements mièvres et à l’eau de rose au bonheur. Nous sommes même entrés dans ce que l’on pourrait appeler « l’ère du soupçon ». Les mises en garde se multiplient pour nous rappeler que le bonheur à tout prix est un mythe. « Est-il vraiment nécessaire d’être heureux ? » ou encore « Sommes-nous vraiment faits pour le bonheur? », se demande-t-on. Si bien que l’on remet sérieusement en doute la pertinence de la recherche du bonheur. Beaucoup de penseurs et d’auteurs dénoncent à cet égard le fait que le droit au bonheur s’est progressivement mué en injonction, voire en dogme. Effectivement, n’y a-t-il pas quelque démesure dans cette obsession du bonheur à tout prix qui arrive à nous rendre malheureux de ne pas être heureux comme on devrait l’être ? Aussi la meilleure attitude ne serait-elle pas l’indifférence devant le bonheur ?
L’indifférence devant le bonheur
LA SAGESSE POPULAIRE semble confirmer cette idée qui admet volontiers que moins on pense au bonheur, plus on a de chance de l’obtenir. C’est dans la mesure où on ne court pas après lui qu’on trouve le bonheur. Les meilleures choses semblent arriver quand on les attend le moins. Le romancier André Gide donne ce témoignage : « Du jour où je parvins à me persuader que je n’avais pas besoin d’être heureux, commença d’habiter en moi le bonheur ; oui, du jour où je me persuadai que je n’avais besoin de rien pour être heureux. » Ainsi la condition d’une vie heureuse serait alors de cesser de vouloir l’être. Cela revient à cultiver une attitude d’indifférence devant le bonheur : l’accueillir quand il vient, le laisser repartir quand il s’en va. Se situer quelque part entre lapossession et la dépossession. Le bonheur serait alors de l’ordre de l’insouciance, de l’inconscience, et pourquoi pas de l’innocence. Ou mieux encore, quand le bonheur arrive, l’accueillir comme une gratification inattendue, comme le suggère Antoine de Saint-Exupéry qui écrit : « Si tu veux comprendre le mot bonheur, il faut l’entendre comme récompense et non comme but. » Ainsi, le bonheur n’arriverait qu’à la fin, comme la fleur sur sa tige. Il suffirait alors d’attendre le bonheur comme on attend que la rose fleurisse pour la cueillir. C’est ainsi que l’attente devient l’une des conditions du bonheur.
Pourquoi espérer pour demain, quand nous n’y sommes pas ? N’est-il pas plus sage de s’occuper de ce qui compte vraiment aujourd’hui: le travail, l’action, le plaisir, l’amour ? Et si le bonheur vient par surcroît tant mieux; s’il ne vient pas, il nous manquera moins. En clair, on atteindrait d’autant plus facilement le bonheur qu’on cesserait d’y tenir, comme le suggère Alain pour qui « le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l’ont pas cherchée. » La question qui se pose alors est la suivante : si l’on ne doit pas courir après le bonheur, devons-nous au moins le laisser courir après nous ? Il semble que ce soit le cas. Il y aurait même une certaine sagesse à le faire, car en se moquant du bonheur on le provoquerait en quelque sorte, le mettant au défi de montrer ce dont il est capable. Si le bonheur est si important que cela dans la vie, alors qu’il se lève, c’est à lui de le prouver, la balle est dans son camp.
Le bonheur dépend de nos choix
EN PRINCIPE une telle attitude est de soi raisonnable, mais suffit-il de se moquer du bonheur ou de lui en refiler la responsabilité pour régler la question ? Il pourrait nous répondre tout de go qu’il est aussi l’expression de notre liberté et qu’à ce titre il attend un geste de notre part. Ce qui laisse à penser que nous croyons trop facilement que le bonheur est là et que nous n’avons qu’à l’attendre pour le cueillir. Au contraire! Nous sommes les artisans de notre propre bonheur. Le bonheur dépend de nos choix. Ainsi, l’adage qui dit que nous avons le bonheur que nous méritons n’est pas très loin de la réalité.
Jean-Paul Simard
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